L’oeil d’Olivier – Chroniques artistiques et rencontres culturelles
Loin du château de Grignan, où il aurait dû être créé cet été, Fracasse de Jean-Christophe Hembert est né en cette fin octobre à l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône. Encore en rodage, ce spectacle de cape et d’épée, adaptation rock du roman éponyme de Théophile Gautier, ne manque ni de souffle, ni de verve.
L’orage gronde dans la grande salle de l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône. Des éclairs zèbrent l’obscurité laissant entrevoir les vestiges d’un château qui fut en son temps imposant, superbe. De vieux rideaux déchirés volent dans les airs. L’ambiance est lugubre, le maître de maison, un certain baron de Sigognac (Thomas Cousseau), vieille et belle noblesse, n’a plus, à son grand dam, les moyens d’entretenir la gloire de ses ancêtres. Tout l’argent a été dilapidé en alcool par sa parentèle.
Une renaissance par le théâtre
Bègue, limite autiste, le gentilhomme se cache des autres hommes. Il n’a plus d’illustre, que son nom et la fierté qui s’y accole comme un gant. Poussé vertement par son maître d’armes, il n’a d’autres choix que de quitter le berceau de sa famille pour se rendre à Paris et sillonner les routes de France avec la célèbre et extraordinaire troupe de maître Hérode (François Caron). La belle et vertueuse Isabelle (Aurélia Dury), comédienne émérite et joyau glamour de la compagnie, dont il tombe jalousement amoureux, a quelque peu aiguillonné son désir de grand air et d’aventures. Entre honneur et amour, entre peur de décevoir ses aïeux et accepté son destin de saltimbanque, le chemin du Baron pour devenir le Capitaine Fracasse est parsemé d’embûches, de duels et de belles rencontres.
Une adaptation pop rock
Le réalisateur de Kaamelott n’y va pas par quatre chemins pour dépoussiérer le dernier romain de Théophile Gautier. Privilégiant les clairs obscurs, magnifiquement imaginés par Seymour Laval, il invite à une ronde folle, rythmée par des sons pops rocks. Usant de praticables mobiles, qui, tour à tour, se métamorphosent en roulotte, en porte d’un château en ruine, en scène de théâtre ou en loge de comédiens, qui ne sont pas sans rappeler, ceux de la très puissante mise en scène de Castorf, présentée il y a trois ans à Avignon, Jean-Christophe Hembert joue sur les jeux décalés, les anachronismes verbaux et musicaux, les traits d’humour pour donner un souffle à cette épopée romanesque. Toutefois, encore en rodage, l’ effet escompté n’est pas encore tout à fait au rendez-vous.
Un duo de choc
Grâce à une mise en scène menée rondement, malgré quelques flottements, quelques scènes superflues qui au fil des représentations devraient s’ajuster, les comédiens se laissent porter, emporter dans un tourbillon d’intrigues amoureuses. Si Caroline Cons est détonante en marquise, Loïc Varraut épatant en jeune premier certes beau mais incapable de charmer le beau sexe faute de verve, C’est le duo David Alaya et Bruno Bayeux qui emporte la mise. Le premier excelle en narrateur tonitruant porté sur la dive bouteille, le second brille en duc ombrageux et possessif. Malheureusement la partition est plus complexe pour l’étonnant Thomas Cousseau, qui a la lourde tâche d’interpréter Fracasse. Le choix assumé par Jean-Christophe Hembert de faire du personnage un sorte d’autiste bègue qui trouve grâce à un masque une belle faconde n’aide pas. La transition entre les deux états est encore trop abrupte.
De beaux tableaux
Les décors tournants de Fanny Gamet, de Jean-Christophe Hembert et de Seymour Laval – le prodigieux créateur des lumières – , les costumes baroques et punks de Mina Ly et les perruques et masques de l’extraordinaire Cécile Kretschmar sont des points forts de ce Fracasse, qui ne demande qu’à divertir petits et grands, jusqu’à enfinconquérir la magnifique demeure de la fille de Madame Sévigné, le château de Grignan, cet été.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Chalon-sur-Saône Octobre 2020